Anne Sylvestre est sans doute la première, a avoir proposé un répertoire de chansons originales et populaires à destination des enfants. Tout commence en 1962. En marge d’une carrière de chanteuse « pour les grands » (1), Anne propose ses premières Fabulettes au public qui s’enthousiasme pour ces comptines d’un nouveau genre. Steve Waring et Henri Dès, les autres « grands ancêtres » ne débuteront leur carrière jeune public que plus tard.
Le succès des Fabulettes est donc aujourd’hui vieux de plus de 50 ans. Il ne semble pas devoir cesser de si tôt.
La longévité, plus de 50 ans donc, l’abondance, pas loin de 200 titres, la nouveauté du genre, au moins au début, la variété des sujets, des couleurs (humour, tendresse, mélancolie …) et des formes (tantôt des histoires comiques, absurdes, poétiques, tantôt des chansons descriptives ou à thème), la qualité des musiques et des arrangements, les textes remarquablement bien écrits sont autant d’éléments d’explications possibles – des plus triviaux aux plus solides – à ce succès jamais démenti. Certes, tout cela suffit à placer Anne Sylvestre au plus haut dans le palmarès des chanteurs préférés des enfants et de leurs parents.
Mais il y a plus, quelque chose qui, relevant de la façon d’être plutôt que de la façon de faire, de l’émotion plus que du raisonnement, est assez délicat décrire. Je me lance, on verra bien. (2)
Les fabulettes, à mon oreille, coulent de source, elles ne sentent jamais l’effort et les bonnes intentions. Je parierai bien que pour la plupart elles sont venues d’un jet, d’un souffle. Si l’on en croit Baudelaire, le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté. C’est sans doute de cela qu’il s’agit. C’est une enfance avec « des moyens d’adulte » qui s’adresse à d’autres enfants. Du coup, le ton est toujours juste. Rien d’étonnant à ce que la source ne tarisse pas, c’est une fontaine de jouvence. Oui, nous dit Anne Sylvestre, le monde est grand et la vie passionnante, il y a beaucoup à apprendre, mais ne vieillissez pas trop vite, gardez toujours au cœur ce qui ne s’apprend pas (mais se désapprend souvent hélas). Je conseille toujours aux parents de prendre le temps d’écouter les chansons que l’on destine à leurs enfants avec eux, c’est excellent pour la santé. Les Fabulettes en donnent le meilleur exemple. Les adultes qui ont écouté ces chansons quand ils étaient enfants les portent longtemps en eux – il y a d’ailleurs une chanson du répertoire « adulte » d’Anne qui évoque avec humour et tendresse ces « rescapés des fabulettes ».
Pour ce qui est des musiques, elles sont toutes composées par Anne Sylvestre elle-même. C’est bien fait et très homogène, la dame a son style, les enfants l’apprécient. Certaines mélodies un peu complexes ne sont évidemment pas faites pour être reprises en chœur; d’autres au contraire ne demandent qu’à être chantées à tue-tête; la plupart enfin sont plutôt faciles à chanter et à la portée de tout un chacun. Le petit bémol est peut-être qu’au long de ce vaste répertoire on finit par repérer, quelques redondances, quelques redites mélodiques un peu insistantes. Pour qui possède un style bien affirmé et un grand répertoire, c’est un écueil difficile à contourner.
Les arrangements de François Rauber (3) sont tout simplement géniaux. Un peu daté peut-être, mais sous ma plume c’est plus une marque de nostalgie qu’un reproche. Sa belle inventivité, l’élégance et la précision des interprètes, la qualité du son des orchestres et même la façon d’enregistrer tout ça me surprennent et m’enchantent toujours aujourd’hui.
En marge des fabulettes Anne a créé en 1993 avec Michèle Bernard, sa « sœur de scène », « Lala et le cirque du vent », un conte musical. Plus tard, elle participe au spectacle « Enfantillages » avec Aldebert et quelques autres. Elle participe également à quelques projets jeune public du groupe Les ogres de Barback.
Anne Sylvestre n’a jamais chanté ses Fabulettes sur scène.
(1) : Depuis la fin des années 50 jusqu’à aujourd’hui (chapeau bas !) elle trace une belle route dans les paysages de la chanson française. « On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important. » a écrit Brassens au début de sa carrière. On ne saurait mieux dire. Avec sa bonne amie Michèle Bernard et l’exubérante Juliette elle trône au sommet de mon panthéon des grandes dames de la chanson – voilà une tournure joliment « clichée » non ? Mais, hors sujet, je vous raconte ma vie, revenons aux Fabulettes.
(2) : La tentative d’explication de ce je-ne-sais-quoi qui fait la différence que vous allez lire ne correspond sans doute qu’à une perception hautement subjective. Il sera peut-être raisonnable de ne pas trop tenir compte de mes spéculations. Vous jugerez.
(3) : Il a écrit et dirigé les arrangements des Fabulettes des 16 premiers volumes (sur 18). Si vous ne connaissez pas son nom, vous avez forcement déjà entendu son travail : il a été l’arrangeur des chansons de Jacques Brel pendant presque toute sa carrière, il a même composé une dizaine de titres avec lui. Il a accompagné Vian et Gainsbourg et travaillé en tant qu’arrangeur avec Barbara, Moustaki, Aznavour, Juliette et bien d’autres.
Discographie
Il existe 18 volumes de Fabulettes. Je n’entre pas dans le détail, le répertoire est très homogène et la qualité constante. La plupart des opus sont plus ou moins thématiques : La ville, les animaux, pour les tout-petits, la mer, les couleurs etc.
Sont également disponibles : « Génération Fabulette », un coffret de 40 Fabulettes compilées; un coffret avec un DVD (voir plus loin) et 2 CD (36 chansons) et un coffret regroupant les 18 volumes, « L’intégrale ».
Jacques Haurogné a enregistré deux CD de Fabulettes :
Jacques Haurogné Chante les Fabulettes d’Anne Sylvestre EPM 2007
14 Fabulettes magnifiquement portées par la belle voix de Jacques Haurogné. Les arrangements sont très bien faits. Ecouter les Fabulettes dans ces habits neufs est un vrai plaisir qui nous confirme ce que l’on savait déjà : les chansons d’Anne Sylvestre sont solides, elles traversent le temps et les modes et, comme celles de Brassens, on peut les interpréter de mille manières, pourvu que le cœur y soit, elles sonneront toujours bien.
Capitaine Jako (Jacques Haurogné Chante les Fabulettes d’Anne Sylvestre) EPM 2002
17 chansons tirées des Fabulettes sobrement accompagnées par une guitare et quelques chœurs et bruitages. Deux personnages, Jako et Ducorbo dialoguent entre les chansons et déroulent un fil conducteur qui lie l’ensemble. Ce projet a donné lieu à un spectacle crée en 2002.
Enfin deux DVD proposent chacun 18 Fabulettes en dessins animés. C’est joliment fait et très bien adapté aux tout-petits. Des petites scènes inventives illustrent les textes des chansons avec une belle liberté tout en restant fidèle à l’esprit malicieux des Fabulettes.
Toutes les références sont disponibles sur le site d’Anne Sylvestre.