On ne compte plus les versions du fameux « Pierre et le loup » de Sergei Prokofiev. Avec différents ensembles et dans des traductions plus ou moins libres , l’histoire de Pierre nous a été contée par bien des comédiens de Gérard Philippe à Valérie Lemercier en passant par Bernard Giraudeau, Marie – Christine Barrault et Michel Galabru (1). Chacun aura sa version préférée.
Celle que je vous propose aujourd’hui, ma favorite, est particulière pour deux raisons. D’abord, les cordes de l’orchestre, qui, vous vous en souvenez sans doute, représentent Pierre, sont ici remplacées par un orgue de barbarie. La musique de Prokofiev est tout à fait respectée et les arrangements d’Alain Mabit pour l’orgue Pierre Charial sont très bien faits. Pour tout dire, c’est une idée géniale. Le son de cet instrument à la fois rare et familier, un peu étrange et pourtant si proche de l’enfance apporte à l’œuvre une saveur qui renouvelle le plaisir de l’auditeur un peu blasé par ce conte mille fois entendu – les parents, les instituteurs (trices), etc. Les enfants, quant à eux, s’ils découvrent Pierre et le loup avec cette version, apprécieront à coup sûr le son de cet instrument qui « colle » si bien au petit héros de l’histoire.
La seconde particularité de cette version tient aux narrateurs : François Morel et Olivier Saladin. Les deux humoristes Normands, qui ont longtemps fait partie des fameux Deschiens de Jérôme Deschamps, ajoutent au texte « officiel » des commentaires de leur cru.
Ils se partagent la narration et discutent tel ou tel point, plus ou moins en rapport avec l’histoire : la garde des enfants par leur grands parents, l’imitation du cri du canard, le braconnage … Une authentique recette du canard au sang est même proposée. C’est un joyeux délire où l’absurde et la dérision se taillent la part du lion. Les enfants comme les parents feront leur miel de cette fantaisie débridée.
Le plus étonnant est qu’au bout du compte, malgré les cordes remplacées par l’orgue de barbarie et les digressions hirsutes des narrateurs, le conte et la musique de Prokofiev gardent leur magie. C’est sans doute la marque des grandes œuvres, elles sont suffisamment solides pour qu’on puisse les bousculées un peu sans qu’elles ne perdent rien de leurs qualités.
(1): Les chanteurs ont aussi souvent été sollicités : Jacques Brel, Charles Aznavour, Jacques Higelin, Julien Clerc, Eddy Mitchell. J’ajoute encore à ma liste Claude Piéplu, Fernandel, Smaïn et … Eve Ruggiéri.
Pierre et le loup
L’ensemble Orchestre régional de Basse-Normandie
Olivier Saladin et François Morel récitants
Domus 1995
Réédition en livre-CD illustré par Pef
Enfance et musique 2010
P.S : Plusieurs versions ont été publiées en livre-CD. L’histoire de Pierre est, semble t’il, une belle source d’inspiration pour les illustrateurs. Parmi nombre de belles réussites je vous suggère le livre CD de Didier jeunesse avec les magnifiques illustrations d’Eric battut et la narration de Michel Galabru.
Enfin, bonne surprise pour les curieux et les amateurs, une version jazz, avec Denis Podalydès comme narrateur, est sortie en 2012 chez Harmonia Mundi (collection le chant du monde). Les instruments ne sont plus ceux de l’orchestre classique mais ceux d’un big band de jazz. De nombreux styles sont présentés et on peut lire dans le livret une petite histoire du jazz illustrée avec les musiques de ce Pierre et le Loup original.