Avant-propos : (que l’on peut passer si l’on sent qu’on ne va pas avoir le temps de lire toute la chronique)
Batteur, pianiste, chanteur et compositeur, Christian Vander est un musicien absolument hors-norme. Leader du groupe Magma créé en 1969, ses productions sont d’abord proches du jazz, sa musique d’élection puis progressivement il invente un univers musical très personnel inspiré tant par Coltrane (son idole) que par Stravinsky. Il va même jusqu’à inventer une langue, le Kobaïen, dans laquelle il écrit de nombreuses chansons. Il intègre dans sa démarche une bonne part de mysticisme. Si ses talents multiples sont unanimement reconnus (en particulier son étonnant jeu de batterie), certains commentateurs le tiennent pour une sorte d’O.V.N.I de la musique française, un illuminé, un artiste fantasque et imprévisible. L’album que je vais à présent tenter de commenter ne contredit pas ces dernières allégations.
Maintenant, la chronique pour de bon
Disons-le d’emblée, « À tous les enfants », a d’abord été pour moi un grand moment de perplexité. C’est encore aujourd’hui l’album de chansons pour enfants le plus étrange que je connaisse. En comparaison, l’étonnante « Chanson pour les petites oreilles », d’Élise Caron, les excès de Vincent Malone ou les facéties du groupe Dragibus paraissent presque académiques.
À ma connaissance c’est la seule incursion de Christian Vander dans le petit monde de la chanson pour enfants. Voyons ça en détail.
La première chanson « Hymne aux enfants » donne le ton. Un piano, des claviers accompagnent le chanteur (Christian Vander) et les chanteuses (Stella et Julie Vander et Isabelle Feuillebois). Vous n’entendrez pas d’autres instruments sur le disque. Le texte de Christian Vander ne semble pas s’adresser spécifiquement aux enfants. Même pour des adultes, c’est une poésie assez ésotérique.
Monsieur Vent (8) déroule sur une très belle mélodie un texte guère plus clair que les autres, mais tout aussi poétique.
Le ballet des sorcières (10) est une pièce instrumentale tout à fait dans le style du leader de Magma. Étranger sans être incompréhensible, très écrit et parfaitement interprété. Piano, claviers et vocalises. Pour vous donner une vague idée, on pense un peu en l’entendant à la musique des films de Tim Burton.
« Ronde de nuit » (12) déroule sur une magnifique mélodie un long texte qui évoque l’enfance. Mais là encore, on doute qu’elle s’adresse aux enfants. De plus, et c’est souvent le cas sur ce disque, il faut vraiment tendre l’oreille pour saisir le texte. La manière de poser les voix, la façon dont les éléments musicaux sont mixés et la construction du texte ne facilitent pas l’écoute. Reste une ambiance, un parfum un peu fantastique.
Trois chansons phares de répertoire enfantin sont chantées sur les modes étranges (les modes Kobaïens) de l’univers musical de Christian Vander. Dépaysement garanti ! Il s’agit de » J’ai du bon tabac » (6), « A la claire fontaine » (18) et « Dodo l’enfant do » (20). Je reviendrai sur cette dernière.
« Chanson de Pâques » (15) est chantée par les enfants du disque – qui scandent aussi les petites formulettes qui servent d’intermèdes. C’est une chanson traditionnelle tout droit sortie de l’enfance haut-marnaise de Christian Vander. Pour la « Chansons des œufs » (16), il reprend la même mélodie et chante un commentaire poétique à sa façon de cette chanson de Pâques.
« Aujourd’hui c’est fête » (13), « La mémoire de l’eau » (17) et « Le marchand de sable » (19) sont des textes dits sur des fonds sonores uniquement composé de bruits de nature, ou mélangeant des bruits de vagues et de nappes de claviers.
« Il est Noël », interprétée par Christian Vander, passe du texte dit à la chanson avec chœur avec un long détour par la déclamation. C’est un des sommets de l’album dans le registre de l’étrange. Notre chanteur hirsute déclame et chante un texte improbable sur une mélodie qui évoque un peu au début les mélodies françaises du début du vingtième siècle. Difficile à décrire.
Les plages 1, 2, 4, 5, 7, 9, 11 sont de brèves transitions.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur la dernière chanson de l’album : « Dodo l’enfant do ». Elle ne dure pas moins de 8 minutes et 35 secondes. Le texte est en gros celui que tout le monde connaît : « dodo, l’enfant do, l’enfant dormira bien vite … ». Après une longue et mystérieuse introduction, il est chanté en boucle. Cette longue plage est organisée comme un long crescendo de piano, de claviers, de cymbales et de voix qui évoque à la fois la musique contemporaine ésotérique et la bande-son d’un film « qui fait peur ». Là, c’est vraiment le bouquet final, on a vraiment du mal à imaginer un enfant touché ou même simplement concerné par un tel déchainement.
Et, tout à la fin de la chanson, la fin du CD donc, on entend Christian Vander dire un petit « et voilà ! « . Le ton est incontestablement malicieux, facétieux même. On ne peut s’empêcher de l’interpréter comme : « Alors, qu’est-ce que vous dîtes de ça ? Ça vous change un peu non ? ! » En effet, on n’avait jamais entendu rien de tel.
Aussi étrange que soit « A tous les enfants », je doute que le projet ne soit qu’une pochade, ou une simple provocation. C’est visiblement sincère. Mais franchement ce petit « et voilà » m’intrigue, peut être encore plus que l’album lui-même. Vous jugerez… si vous allez jusqu’au bout!
P.S : Ah oui, au fait, j’ai fait écouter le disque à mes enfants, la perplexité est partagée !
Post-scriptum bis : (dont on peut se dispenser si effectivement on a pas le temps de lire toute la chronique)
Pour compléter le tableau, quelques extraits des textes.
– Le livret (sans illustration, mais avec toutes les paroles) se termine par un texte de Christian Vander qui commence ainsi : « Ce disque prétend tenir en éveil la conscience des générations dans le temps. Il est dédié aux enfants ayant souffert, assassinés par la cupidité, le profit et l’égoïsme de ceux que nous appellerons : les hommes. » Il se termine par une très longue liste de dédicataires où l’on trouve à côté des éléments naturels (ciel, soleil, montagnes, etc.) de nombreux animaux (loups, araignées, éléphants) ainsi que le magma, les particules, les pommes de terre, le givre, les orties et le cosmos…
– Dans « Hymne aux enfants » : « Mes yeux ont quitté la terre déchirant le voile de mon esprit, mon espoir autrefois balayé par les vents du silence trouve aujourd’hui en vous sa récompense ».
– Dans le long texte de « La ronde de nuit » :
« Sur un lac de coquelicots
Un oiseau bleu se désaltère
Tourné vers ceux, qui sous terre
La Nuit dans les yeux, coulent, à flots.
Ô cloches tonnez! volez pierres!
Pour nos enfants de la lumière … »
À tous les enfants
Christian Vander
SEVENTH records 1994