LA DISCOTHÈQUE IDÉALE DE MONSIEUR MANDARINE : JOSÉPHINE ET LES OMBRES

Conte lyrique en deux actes
Textes de Roland Topor
Musique de Reinhardt Wagner

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Les voix lyriques ne sont à priori guère prisées par les enfants. A moins de grandir dans une famille où lieder et opéras représentent le quotidien musical de la maison, cette façon de chanter étonne voir rebute les jeunes oreilles non initiées. Je vous présente aujourd’hui un petit bijou de CD qui aidera ceux qui en ont envie à familiariser les enfants avec les voix lyriques.
Les six chanteurs du disque sont vraiment excellents. L’auditeur « moyen » reproche souvent aux réalisations lyriques le peu de souci qu’elles ont du texte. En gros, on ne comprend pas les paroles, on a même parfois du mal à identifier la langue employée. Ici chaque mot est parfaitement clair, les voix sont belles, sensibles et ne sacrifient jamais l’intelligibilité du texte à je ne sais quel effet dramatique ou virtuose . (1) Tous les registres à l’exception du ténor sont représentés : basse, baryton, haute-contre pour les hommes, soprano, mezzo-soprano et alto pour les femmes. (respectivement : Antoine Sicot, Denis Léger-Milhau, Dominique Visse, Anne Baquet, Agnès Mellon et Guillemette Laurence)
La durée du conte, une heure, nécessite un peu d’organisation. La meilleure solution si on veut l’entendre d’une seule traite est peut-être de l’écouter en voiture pendant un long trajet. Sinon, pourquoi ne pas découvrir l’histoire sur plusieurs jours comme un feuilleton dont on écoute un épisode à la fois ? Autre idée pour amener les enfants vers cette œuvre a priori exigeante, faîtes tourner le CD, de temps en temps en « fond musical » sans réclamer d’attention particulière ou comme si vous l’écoutiez pour votre propre agrément – ce qui est d’ailleurs tout à fait possible, c’est vraiment de très bonne qualité et les grands peuvent aussi y prendre plaisir. Petit à petit les enfants, rétifs ou indifférents de prime abord, deviendront familiers de ces voix « bizarres » et de ces personnages attachants et pourront finalement apprécier pleinement ce conte lyrique à sa juste valeur. (2)

L’histoire: Joséphine, dont les parents sont morts récemment dans un accident d’avion fait connaissance avec Falstaff, un mort débonnaire du cimetière du Montparnasse – qu’elle traverse souvent pour aller à l’école. Rapidement elle devient familière des illustres défunts, amis de Falstaff. Pour eux, elle va enquêter pour répondre aux questions qu’ils se posent sur leur postérité. Le comportement de la petite fille étonne son entourage : sa tante Aline, son amie Pénélope, ses professeurs… Il faut dire qu’elle seule peut voir les fantômes.
Au deuxième acte une de ses recherches tourne mal et Joséphine est enlevée. S’en suivent quelques scènes épiques que je vous laisse découvrir.
Le conte aborde par touches légères et sensibles le thème du deuil. Une réflexion sur la mort traverse en filigrane les aventures de Joséphine. Le suicide est évoqué ainsi que les rapports entre les vivants et les morts. Mais le ton n’est jamais grave, c’est toujours la vie qui l’emporte. Pas de prescription dogmatique, les plaisirs du récit et de la musique sont bien le centre du projet.
La comédienne Tania Torrens qui assure la narration est une excellente conteuse.

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Roland Topor (en photo) : Illustrateur, dessinateur, peintre, écrivain, poète, metteur en scène, chansonnier, acteur et cinéaste, Topor est l’exemple même du brillant touche-à-tout. Son humour souvent noir, sa véhémence et son goût du scandale sont généralement mis de côté quand il s’adresse aux enfants.
Avec Joséphine il nous livre une histoire à la fois épique et sensible teintée d’humour bon enfant et d’un soupçon de philosophie.
Au registre du jeune public, on lui doit la géniale série Téléchat : 234 épisodes qui ont prouvé pendant de nombreuses années que la télévision pouvait (trop rarement) proposer des programmes pour enfants de grande qualité.

La musique de Reinhardt Wagner : Compositeur à large palette, Wagner écrit principalement des musiques de film et des chansons – dont quelques unes sur des textes de Topor. Mélodiste raffiné, mais pas ésotérique pour un sou, il nous offre ici de très beaux airs. Chaque chanteur a ses chansons, mais il y a aussi des passages chantés en dialogue ou à plusieurs voix. La narration parlée nous épargne les fastidieux récitatifs propres à l’opéra. Toutes les parties chantées sont accompagnées au piano, quelques très beaux passages d’orchestre ponctuent l’histoire.
Avec le thème de Joséphine, confié à l’orchestre, et la chanson « C’est vrai Pénélope exagère », la musique de la scène du médecin (le magnifique haute-contre Dominique Visse) est ma préférée.

Les illustrations de Nicolas Topor : Comme son papa Roland, Nicolas est touche-à-tout : d’abord la peinture puis progressivement les décors et des scénographies pour le théâtre sans oublier des textes de chansons qu’il interprète lui-même. Les illustrations qu’il propose ici, oscillent entre le fauvisme et la bande dessinée. Vuillard semble l’inspirer. Son travail sur le flou et le traitement particulier de certain à-plats de couleur (surtout des fonds et des étoffes), sont plutôt originaux. L’ensemble est – filiation oblige ? – bien adapté au ton du récit.

Joséphine et les ombres
Conte lyrique en 2 actes
Le chant du monde 2003

(1) : Le parcours de nos interprètes dans le monde du chant baroque y est sans doute pour quelque chose. En effet, la façon de chanter propre à la période baroque est, je crois, un bon choix pour une découverte de la voix lyrique par les enfants – à l’opposé des voix « Wagnériennes » (je fais bien sûr référence à Richard Wagner et pas à Reinhardt Wagner notre compositeur du jour) qui avec leur vibrato large comme les hanches des cantatrices qui l’utilisent ne sont guère favorables à une claire compréhension des textes.

(2) : On trouvera peut-être que je fais bien des manières et que je sous-estime a priori la capacité des enfants d’aujourd’hui à apprécier des œuvres très différentes des productions majoritaires (mainstream en bon franglais) de notre époque. Mais il me semble que pour la plupart d’entre eux, le « classique » n’est vraiment pas familier. Les voix lyriques encore moins. Dommage, cet immense continent musical recèle bien des trésors. Sans vouloir enfoncer des portes ouvertes, je rappelle ici qu’une même personne peut très naturellement apprécier le rap et la musique classique, Chet Baker et Metallica etc… L’important c’est d’avoir accès à ces différents styles sans avoir à subir de jugements.
Quant au format, une heure d’écoute attentive, il va complètement à l’encontre des pratiques du jour : des séquences brèves et des images vidéo ou télévisuelles. Voilà pourquoi je suggère quelques stratagèmes pour amener notre jeune auditoire hors des sentiers battus – battus, que dis-je ? – laminés par le rouleau compresseur des produits commerciaux standardisés d’aujourd’hui.