A PROPOS DE : Nommer, classer définir

« Des enfants de ce monde ou bien de l’autre chantaient de ces rondes aux paroles absurdes et lyriques qui sont sans doute les restes des plus anciens monuments poétiques de l’humanité. »

Guillaume Apollinaire

Jeux de nourrices, formulettes, berceuses, chansons de portages et sauteuses, comptines, jeux de doigts, jeux de mains, chants de circonstances et rengaines, jeux dansés et premières rondes : c’est sous ces différentes rubriques qu’est classé le contenu (48 plages) du CD « Petit oiseau d’or » (une référence !) dirigé par Anne Bustaret(1). On peut détailler plus encore ou au contraire choisir des catégories plus larges et donc moins nombreuses. Quelque soit le mode de classification et les terminologies employées, il est toujours bon de s’interroger sur la forme et les intérêts spécifiques de chaque « chanson ». En l’absence de définitions officielles, chacun bricole les siennes en fonction de ses expériences et de ses centres d’intérêt. Par exemple, la définition que je donne des jeux de nourrices (jeux adressés à de très jeunes enfants, basés sur une formulette, une courte chanson, une petite histoire qui se pratiquent à deux, un adulte, un enfant ; les deux « joueurs » sont en contact physique) est liée à mon intérêt pour les aspects relationnels dans les activités d’éveil. Une approche historique ou une autre, centrée sur le développement sensori-moteur de l’enfant conduirait sans doute à des définitions bien différentes. Mais, il y a un temps pour la théorie, un autre pour l’action. En situation l’essentiel est de choisir judicieusement ce que l’on va proposer aux enfants sans trop se préoccuper de savoir sur le moment, s’il s’agit d’une « sauteuse de circonstance », d’une « formulette dansée » ou d’une « comptine-jeu de doigt » !

oiseau

 Je profite de ce point sur les terminologies pour définir le mot formulette. Bonne occasion aussi pour faire le point sur le sens du mot comptine.

 Dans le domaine de la littérature, le mot formulette désigne des petites phrases au caractère fonctionnel répétées dans les contes. Par exemple dans « Barbe-Bleue » – un des plus célèbres parmi les Contes de Ma Mère L’oye (1697) – l’échange entre les deux sœurs: « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? – Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l’herbe qui verdoie. » est un bon exemple. On peut citer encore le fameux « Tire la bobinette … » du Petit Chaperon Rouge.

Dans le cadre de ces chroniques, nous retiendrons plutôt cette autre définition proposée par Marc Soriano : « Chansons, jeux, rondes , devinettes, phrases-incantation tantôt rimées tantôt assonancées à la fois verbales et mimées et qui accompagnent l’enfant tout au long de son développement. Elles bercent ses premiers sommeils, rythment ses premiers gestes et les harmonisent en jeux, lui apprennent à inspecter et à reconnaître ses mains, ses doigts et diverses parties de son visage, le font rire quand il pleure ou lui suggèrent un rite rassurant quand il est inquiet ou nerveux. Il en existe pour toutes les circonstances de la vie, la faim et la soif, la colère et l’ennui et aussi pour le besoin de s’enivrer de mots lesquels ne sont pas pour autant de pures jongleries verbales, car une phrase apparemment sans aucun sens pour un adulte peut en avoir un pour un enfant et contenir des associations d’idées, des comparaisons des jugements négatifs, des prises de conscience qui contribuent à son développement. »

sleep

Un mot à propos des comptines. Le terme est apparu dans les années 20 (2). Au sens strict, ce sont des formulettes de désignation ou d’élimination : un texte court scandé ou chanté avant le jeu pour désigner celui ou celle à qui sera dévolu un rôle particulier, « s’y coller » ou être « le chat » par exemple. « Am stram gram », « Une souris verte » en sont les représentantes les plus connues.

Le terme est aujourd’hui entendu dans un sens plus large, il désigne toujours un texte court, scandé ou chanté, souvent rimé ou assonancé à destination des jeunes enfants. Nos formulettes ainsi que les jeux dansés, les chansons à gestes, les jeux de doigts, etc. sont aujourd’hui souvent rangés dans cette catégorie vaste et mouvante. C’est en fait devenu un terme générique commode que l’on associe au répertoire des tout-petits.

 

Pour rédiger cette chronique, je me suis servi (comme tout le monde !) de plusieurs contributions de Marc Soriano publiées dans l’Encyclopédia Universalis.

La lecture de Rimes et comptines, d’Évelyne Resmond-Wens Erès 2008, sera également utile à qui veut approfondir sa connaissance du sujet.

 (1) : Petit oiseau d’or, Nathan, 1983, conception et direction d’Anne Bustaret

(2) : Dans le livre de Pierre Roy « Cents comptines » , 1926. L’auteur prétend qu’il doit le terme à un enfant dont il collectait le répertoire.